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LES AMIES

les yeux, et feignit de dormir. Il eût fini par jouer son rôle, au naturel. Mais l’autre était tenace, et lisait, d’une voix forte, le début de l’article. Dès les premières lignes, Christophe ouvrit l’oreille. On y parlait de monsieur Krafft comme du premier génie musical de l’époque. Oubliant son personnage de dormeur, Christophe jura d’étonnement, et se dressant sur son séant, il dit :

— Ils sont fous. Qu’est-ce qui les a pris ?

Le reporter en profita pour interrompre sa lecture et lui poser une série de questions, auxquelles Christophe répondit, sans réfléchir. Il avait pris l’article, et contemplait avec stupéfaction son portrait qui s’étalait, en première page ; mais il n’eut pas le temps de lire : car un second journaliste venait d’entrer dans la chambre. Cette fois, Christophe se fâcha, tout de bon. Il les somma de vider la place : ce qu’ils ne firent point, avant d’avoir relevé rapidement la disposition des meubles dans la chambre, des photographies aux murs, et la physionomie de l’original, qui, riant et furieux, les poussait par les épaules, et les escorta, en chemise, jusqu’à la porte, qu’il verrouilla derrière eux.

Mais il était dit qu’on ne le laisserait pas tranquille, ce jour-là. Il n’avait pas fini sa toi-

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