Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 8.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

117
LES AMIES

— Nous étions bien sans cela ; peut-être sera-ce un mal.

Jacqueline se moqua de lui :

— Bêta ! dit-elle. Comme si cela pouvait faire jamais du mal ! D’abord, nous ne changerons rien à notre vie.

La vie resta en effet la même, en apparence. Si bien la même qu’après un certain temps on entendait Jacqueline se plaindre de n’être pas assez riche : preuve évidente qu’il y avait quelque chose de changé. Et de fait, bien que leurs revenus eussent doublé et triplé, tout était dépensé, sans qu’ils sussent à quoi. C’était à se demander comment ils avaient pu faire pour vivre auparavant. L’argent fuyait, absorbé par mille frais nouveaux, qui semblaient aussitôt habituels et indispensables. Jacqueline avait fait connaissance avec les grands tailleurs ; elle avait congédié la couturière familiale, qui venait à la journée et qu’on connaissait depuis l’enfance. Où était le temps des petites toques de quatre sous, qu’on fabriquait avec un rien, et qui étaient jolies tout de même, — de ces robes dont l’élégance n’était pas impeccable, mais qui étaient éclairées de son reflet gracieux, qui étaient un peu d’elle-même ? Le doux charme d’intimité qui rayonnait de tout ce qui l’entourait, s’ef-