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Leur égoïsme d’amour avait fait le vide autour d’eux ; il brûlait avec imprévoyance toutes ses ressources à venir.

Ivresse des premiers temps, où les êtres mêlés ne songent, uniquement, qu’à s’absorber l’un l’autre… De toutes les parcelles de leurs corps et de leurs âmes, ils se touchent, ils se goûtent, ils cherchent à se pénétrer. Ils sont à eux seuls un univers sans lois, un chaos amoureux, où les éléments confondus ne savent pas encore ce qui les distingue entre eux, et s’efforcent l’un l’autre de se dévorer goulûment. Tout les ravit dans l’autre : l’autre, c’est encore soi. Qu’ont-ils à faire du monde ? Comme l’Androgyne antique, endormi dans son rêve d’harmonieuse volupté, leurs yeux sont clos au monde, le monde est tout en eux…

Ô jours, ô nuits, qui forment un même tissu de rêves, heures qui fuient comme passent au ciel les beaux nuages blancs, et dont rien ne surnage que, dans l’œil ébloui, un lumineux sillage, souffle tiède qui vous enveloppe

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