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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

épuisés par la dépense d’énergie qu’ils ont dû faire depuis des siècles, et aspirant à l’ataraxie, sans pouvoir y atteindre : la pensée, l’analyse sans fin, qui empêche d’avance la possibilité de toute jouissance et qui décourage de toute action. Les plus énergiques se donnent des rôles, les jouent, plus qu’ils n’agissent pour leur compte. Chose curieuse, qu’à nombre d’entre eux, — et non des moins intelligents, ni parfois des moins graves, — ce désintérêt de la vie réelle souille la vocation, ou le désir inavoué de se faire acteurs, de jouer la vie, — seule façon pour eux de la vivre !

Mooch était aussi acteur, à sa façon. Il s’agitait afin de s’étourdir. Mais au lieu que tant de gens s’agitent pour leur égoïsme, lui, s’agitait pour le bonheur des autres. Son dévouement à Christophe était touchant et fatigant. Christophe le rabrouait, et en avait regret ensuite. Jamais Mooch n’en voulait à Christophe. Rien ne le rebutait. Non qu’il eût pour Christophe une affection bien vive. C’était le dévouement qu’il aimait, plus que les hommes auxquels il se dévouait. Ils lui étaient un prétexte pour faire du bien, pour vivre.

Il fit tant qu’il décida Hecht à publier le David et quelques autres compositions de Christophe. Hecht estimait le talent de Christophe ; mais il n’était point pressé de le faire connaître. Ce ne fut que lorsqu’il vit Mooch tout prêt à lancer la publication, à ses frais, chez un autre éditeur, que lui-même, par amour-propre, en prit l’initiative.