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DANS LA MAISON

possibles : briser les résistances par la force ; se plier à des compromis humiliants ; ou se résigner à n’écrire que pour soi. Olivier était incapable du premier, comme du second parti : il s’abandonna au dernier. Il donnait péniblement des répétitions pour vivre, et il écrivait des œuvres, qui n’ayant aucune possibilité de s’épanouir en plein air, devenaient de plus en plus étiolées, chimériques, irréelles.

Christophe tomba comme un orage, au milieu de cette vie crépusculaire. Il était hors de lui de voir la vilenie des gens et la patience d’Olivier :

— Mais tu n’as donc pas de sang ? disait-il. Comment peux-tu supporter une telle vie ? Toi qui te sais supérieur à ce bétail, tu te laisses écraser par lui, sans résistance !

— Que veux-tu ? disait Olivier, je ne sais pas me défendre, j’ai le dégoût de lutter avec des gens que je méprise ; je sais qu’ils peuvent employer toutes les armes contre moi ; et moi, je ne le puis pas. Non seulement je répugnerais à me servir de leurs moyens injurieux, mais j’aurais peur de leur faire du mal. Quand j’étais petit, je me laissais battre bêtement par mes camarades. On me croyait lâche, on croyait que j’avais peur des coups. J’avais beaucoup plus peur d’en donner que d’en recevoir. Je me souviens que quelqu’un me dit, un jour qu’un de mes bourreaux me persécutait : « Finis-en donc, une