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DANS LA MAISON

vant les autres ; et, se disputant ainsi les miettes d’un public de braves gens, peu nombreux et encore moins fortunés, elles végétaient quelque temps, exsangues, affamées ; et elles tombaient enfin, pour ne plus se relever, non sous les coups de l’ennemi, mais — (le plus lamentable !) — sous leurs propres coups. — Les diverses professions, — hommes de lettres, auteurs dramatiques, poètes, prosateurs, professeurs, instituteurs, journalistes, — formaient une quantité de petites castes, qui elles-mêmes se subdivisaient en castes plus petites, dont chacune était fermée aux autres. Nulle pénétration mutuelle. Il n’y avait unanimité sur rien en France, qu’à des instants très rares où cette unanimité prenait un caractère épidémique, et, généralement, se trompait : car elle était maladive. Un individualisme fou régnait dans tous les ordres de l’activité française : aussi bien dans les travaux scientifiques que dans le commerce, où il empêchait les négociants de s’unir, d’organiser des ententes patronales. Cet individualisme n’était pas abondant et débordant, mais obstiné, replié. Être seul, ne devoir rien aux autres, ne pas se mêler aux autres, de peur de sentir son infériorité en leur compagnie, ne pas troubler la tranquillité de son isolement orgueilleux : c’était la pensée secrète de presque tous ces gens qui fondaient des revues « à côté », des théâtres « à côté », des groupes « à côté » ; revues, théâtres,