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ANTOINETTE

l’on ne savait guère ce que l’on disait ; la petite cloche saccadée de l’hospice voisin, qui sonnait le coucher des religieuses ; — le lit, l’île des rêves…

Les meilleurs moments de l’année étaient ceux qu’on passait dans une propriété de famille, à quelques lieues de la ville, au printemps et à l’automne. Là, on pouvait rêver tout à son aise : on ne voyait personne. Comme la plupart des petits bourgeois, les deux enfants étaient tenus à l’écart des gens du peuple : domestiques, fermiers, qui leur inspiraient au fond un peu de crainte et de dégoût. Ils tenaient de leur mère un dédain aristocratique — ou plutôt, essentiellement bourgeois, — pour les travailleurs manuels. Olivier passait ses journées, perché dans les branches d’un frêne, et lisant des histoires merveilleuses : la délicieuse mythologie, les Contes de Musæus, ou de Mme d’Aulnoy, ou les Mille et une Nuits, ou des romans de voyage,