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ANTOINETTE

ne pouvait comprendre ce qui la faisait souffrir : elle l’attribuait à ses mauvais instincts. La pauvre petite Ophélie, qu’un mal mystérieux rongeait, sentait avec horreur monter du fond de son être le souffle trouble et brutal, qui vient des bas-fonds de la vie. Elle ne travaillait plus, elle avait abandonné la plupart de ses leçons ; elle si vaillante, si matinale, restait au lit parfois jusqu’à l’après-midi : elle n’avait pas plus de raisons pour se lever que pour se coucher ; elle mangeait à peine, ou ne mangeait pas. Seulement les jours où son frère avait congé, — le jeudi dans l’après-midi, et le dimanche, dès le matin, — elle se forçait pour être avec lui comme elle était autrefois.

Il ne s’apercevait de rien. Il était trop amusé ou distrait par sa vie nouvelle, pour bien observer sa sœur. Il était dans cette période de la jeunesse, où l’on a peine à se livrer, où l’on a l’air indifférent à des choses qui vous touchaient naguère et qui vous