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ANTOINETTE

savait tout cela. Mais que lui servait-il de le savoir ? Elle n’y pouvait rien, si, depuis dix ans, elle avait mis sa vie entière dans cette unique pensée : son frère. Maintenant que cet unique intérêt de sa vie lui était arraché, elle n’avait plus rien.

Elle essaya courageusement de se reprendre à ses occupations, à la lecture, à la musique, à ses livres aimés… Dieu ! que Shakespeare, que Beethoven étaient vides, sans lui !… — Oui, c’était beau sans doute… Mais il n’était plus là. À quoi bon les belles choses, si l’on n’a, pour les voir, les yeux de celui qu’on aime ? Que peut-on faire de la beauté, que peut-on faire même de la joie, si on ne les goûte dans l’autre cœur ?

Si elle eût été plus forte, elle eût cherché à refaire entièrement sa vie, à lui donner un autre but. Mais elle était à bout. Maintenant que rien ne l’obligeait plus à tenir bon, coûte que coûte, l’effort de volonté qu’elle s’imposait se rompit : elle