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JEAN-CHRISTOPHE À PARIS

Elle ne savait rien de lui, sinon qu’il était musicien, et qu’on en disait beaucoup de mal ; mais, dans son ignorance de la vie et des hommes, elle avait une intuition naturelle des âmes, que la misère avait aiguisée, et qui lui avait fait reconnaître dans son voisin de théâtre, mal élevé, un peu fou, une candeur égale à la sienne, et une virile bonté, dont le seul souvenir lui était bienfaisant. Le mal qu’elle avait entendu dire de lui n’atteignait point la confiance que Christophe lui avait inspirée. Victime elle-même, elle ne doutait pas qu’il ne fût une autre victime, souffrant comme elle, et depuis plus longtemps, de la méchanceté de ces gens qui l’outrageaient. Et comme elle avait pris l’habitude de s’oublier pour penser aux autres, l’idée de ce que Christophe avait dû souffrir, la distrayait un peu de son propre chagrin. Pour rien au monde, elle n’eût cherché à le revoir, ni à lui écrire : un sentiment de pudeur et de