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ANTOINETTE

dernes. Sa langueur chaude d’étuve ou d’automne énervant surexcite les sens et tue la volonté. Mais elle était une détente pour une âme contrainte à une activité excessive et sans joie, comme celle d’Antoinette. Le concert du dimanche était la seule lueur qui brillât dans la semaine de travail sans relâche. Ils vivaient du souvenir du dernier concert et de l’espoir du prochain, de ces deux ou trois heures passées hors de Paris, hors du temps. Après une longue attente dehors, par la pluie, ou la neige, ou le vent et le froid, serrés l’un contre l’autre, et tremblant qu’il n’y eût plus de places, ils s’engouffraient dans le théâtre, où ils étaient perdus dans une cohue, à des places étroites et obscures. Ils étouffaient, ils étaient écrasés, et tout près quelquefois de se trouver mal de chaleur et de gêne ; — et ils étaient heureux, heureux de leur propre bonheur et du bonheur de l’autre, heureux de sentir couler dans