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Jean-Christophe

tinuerez à mentir — à « idéaliser » — jusque dans la soûlerie, jusque dans les tueries, jusque dans la folie !…

Christophe en était arrivé à prendre en haine tout idéalisme. Il préférait à ce mensonge la brutalité franche. — Au fond, il était plus idéaliste que les autres, et il n’avait pas — il ne devait pas avoir — de plus réels ennemis que ces réalistes brutaux, qu’il croyait préférer.

Il était aveuglé par sa passion. Il se sentait glacé par le brouillard, le mensonge anémique, « les Idées-fantômes sans soleil ». Il aspirait au soleil de toutes les forces de son être. Il ne voyait pas, dans son mépris juvénile pour l’hypocrisie qui l’entourait, ou pour ce qu’il nommait tel, la haute sagesse pratique de la race, qui s’était bâti peu à peu son grandiose idéalisme, pour dompter ses instincts sauvages, ou pour en tirer parti. Ce ne sont pas des raisons arbitraires, des règles morales et religieuses, ce ne sont pas des législateurs et des hommes d’État, des prêtres et des philosophes qui transforment les âmes des races et leur imposent souvent une nouvelle nature : c’est l’œuvre des siècles de malheurs et d’épreuves qui forgent pour la vie les peuples qui veulent vivre.