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la révolte

nigauds avec la Röselein (petite rose), avec le ruisseau, avec la tourterelle, avec l’hirondelle ; ces questions saugrenues : — « Si l’églantier devrait être sans épines », — « Si c’est avec un vieil époux que l’hirondelle a fait son nid, ou si elle vient de se fiancer depuis un peu de temps » : — tout ce déluge de tendresse fade, d’émotion fade, de mélancolie fade, de poésie fade… Que de belles choses profanées, de choses rares, usées à tout propos, et sans propos ! Car le pire était que tout cela était inutile ; c’était une habitude de déshabiller son cœur en public, une propension affectueuse et niaise des bonnes gens allemandes à se confier bruyamment. Rien à dire, et toujours parler ! Ce bavardage ne finirait-il jamais ? — Holà ! Silence aux grenouilles du marais !

C’était surtout dans l’expression de l’amour que Christophe sentait plus crûment le mensonge ; car il était ici plus à même de le comparer avec la vérité. Cette convention des chants d’amour, larmoyants et corrects, ne répondait à rien ni des désirs de l’homme, ni du cœur féminin. Cependant, les gens qui avaient écrit cela avaient dû aimer, au moins une fois dans leur vie ! Était-il possible qu’ils eussent aimé ainsi ? Non, non ! ils avaient menti, menti comme toujours, ils s’étaient menti à eux-mêmes ; ils avaient voulu s’idéaliser… Idéaliser ! cela voulait dire : avoir peur de regarder la vie en face, être incapable de voir les choses en homme, comme elles sont. — Partout, la même timidité, le même manque de franchise virile. Partout, le même enthousiasme à froid, la même solennité pompeuse et mensongère, dans le patriotisme, dans la boisson, dans la religion. Les Trinklieder (chants à boire) étaient des prosopopées au vin ou à la coupe : « Du herrlich Glas… » (« Toi, noble verre… »). La foi — la chose du monde qui devait être la plus spontanée, jaillir de l’âme comme un flot imprévu et soudain — était un article de fabrique, une denrée courante. Les chants patriotiques étaient faits pour des troupeaux de moutons dociles et bêlant en mesure… — Hurlez donc ! — Quoi ! Est-ce que vous con-

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