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la révolte

suis venue ; elle m’a passé votre valise et la lettre, que votre mère lui avait données ; et elle m’a expliqué où je vous trouverais ; elle m’a dit de courir et de ne pas me laisser prendre. J’ai couru, et me voilà.

— Elle n’a rien dit de plus ?

— Si. Elle m’a dit de vous remettre aussi ce fichu, pour vous montrer que je venais de sa part.

Christophe reconnut le fichu blanc, à pois rouges et fleurs brodées, que Lorchen, en le quittant, la veille, avait noué autour de sa tête. L’invraisemblance naïve du prétexte, dont elle s’était servie pour lui envoyer ce souvenir amoureux, ne fit pas sourire.

— Maintenant, fit la petite, voilà l’autre train qui remonte Il faut que je rentre chez nous. Bonsoir.

— Attends donc, dit Christophe. Et l’argent pour venir comment as-tu fait ?

— Lorchen me l’a donné.

— Prends tout de même, dit Christophe, lui mettant quelques pièces dans la main.

Il retint par le bras la petite qui voulait se sauver.

— Et puis,… fit-il.

Il se pencha, et l’embrassa sur les deux joues. La fillette faisait mine de protester.

— Ne te défends donc pas, dit Christophe, en plaisantant. Ce n’est pas pour toi.

— Oh ! je sais bien, fit la gamine, railleuse, c’est pour Lorchen.

Ce n’était pas seulement Lorchen, que Christophe embrassait sur les joues rebondies de la petite vachère : c’était toute son Allemagne.

La petite s’échappa, et courut vers le train qui partait. Elle resta à la portière et lui fit des signaux avec son mouchoir, jusqu’à ce qu’elle ne le vit plus. Il suivit des yeux la rustique messagère, qui venait de lui apporter, pour la dernière fois, le souffle de son pays et de ceux qu’il aimait.

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