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la révolte

son ouvrage, et avait pris les mains de Christophe, en répétant, toute saisie :

— Vous êtes son neveu ?

Tout le monde parlait à la fois. Christophe demandait, de son côté :

— Mais vous, comment… comment le connaissez-vous ?

L’homme lui répondit :

— C’est ici qu’il est mort.

On se rassit ; et quand l’agitation fut un peu calmée, la mère raconta, en reprenant son travail, que Gottfried venait à la maison, depuis des années ; toujours il s’y arrêtait, à l’aller et au retour, dans chacune de ses tournées. La dernière fois qu’il était venu — (c’était en juillet dernier), — il semblait très las ; et, son ballot déchargé, il avait été un bon moment avant de pouvoir articuler une parole ; mais on n’y avait pas pris garde, parce qu’on était habitué à le voir ainsi, quand il arrivait, et qu’on savait qu’il avait le souffle court. Il ne se plaignait pas d’ailleurs. Jamais il ne se plaignait : il trouvait toujours un sujet de contentement dans les choses désagréables. Quand il faisait un travail exténuant, il se réjouissait en pensant comme il serait bien dans son lit, le soir ; et quand il était souffrant, il disait comme cela serait bon, quand il ne souffrirait plus…

— Et c’est un tort, Monsieur, d’être toujours content, ajoutait la bonne femme ; car quand on ne se plaint pas, les autres ne vous plaignent pas. Moi, je me plains toujours…

Donc, on n’avait pas fait attention à lui. On l’avait même plaisanté sur sa bonne mine, et Modesta — (c’était le nom de la jeune fille aveugle), — qui était venue le décharger de son paquet, lui avait demandé s’il ne serait donc jamais las de courir ainsi, comme un jeune homme. Il souriait, pour toute réponse ; car il ne pouvait pas parler. Il s’assit sur le banc devant la porte. Chacun partit à son ouvrage : les hommes, aux champs ; la mère, à sa cuisine. Modesta vint près du banc : debout, adossée à la porte, son tricot à la main, elle

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