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la révolte

Et il les toucha : — quatre ou cinq notes assez fraîches, une demi-octave, dans le registre moyen de l’instrument Christophe comprit que c’était un vieil ami pour lui, et il dit gentiment, — pensant aux yeux de Schulz :

— Oui, il a de jolis yeux encore.

La figure de Schulz s’éclaira. Il s’embarqua dans un éloge embrouillé de son vieux piano, mais se tut aussitôt : car Christophe s’était remis à jouer. Les Lieder succédaient aux Lieder ; Christophe chantait à mi-voix. Schulz, les yeux humides, suivait chacun de ses mouvements. Kunz, les mains croisées sur son ventre, fermait les yeux pour mieux jouir. De temps en temps, Christophe se retournait, radieux, vers les deux vieilles gens, qui étaient dans le ravissement ; et il disait, avec un enthousiasme naïf, dont ils ne pensaient pas à rire :

— Hein ! Est-ce beau !… Et cela ! Qu’est-ce que vous en dites ?… Et celui-là !… Celui-là est le plus beau de tous… — Maintenant, je vais vous jouer quelque chose, qui va vous faire dresser les cheveux sur la tête…

Comme il terminait un morceau rêveur, le coucou de la pendule se mit à sonner. Christophe bondit, et cria de colère. Kunz, réveillé en sursaut, roulait de gros yeux effarés. Schulz lui-même ne comprenait pas d’abord. Puis, quand il vit Christophe montrer le poing à l’oiseau qui saluait, et crier qu’au nom du ciel on emportât de là cet idiot, ce spectre ventriloque, il trouva aussitôt, pour la première fois de sa vie, que ce bruit était en effet intolérable ; et, prenant une chaise, il voulut grimper dessus, pour décrocher le trouble-fête. Mais il faillit tomber, et Kunz l’empêcha de remonter ; il appela Salomé. Elle arriva sans se presser, suivant son habitude, et fut stupéfaite de se voir mettre sur les bras l’horloge, que Christophe impatient avait décrochée lui-même.

— Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? demandait-elle.

— Ce que tu voudras. Emporte ! Qu’on ne le revoie plus ici ! disait Schulz, non moins impatient que Christophe.

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