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Jean-Christophe

aveugle des couleurs ; il en parlait par ouï-dire, en répétant les niaiseries courantes. Et ce n’était pas seulement l’amour, c’étaient toutes les passions qui lui avaient servi de thèmes à des déclamations. — Pourtant, il s’était toujours efforcé d’être sincère. — Mais il ne suffit pas de vouloir être sincère : il faut pouvoir l’être ; et comment le serait-on, quand on ne connaît encore rien de la vie ? Ce qui venait de lui dévoiler la fausseté de ces œuvres, ce qui avait creusé brusquement un fossé entre lui et son passé, c’était l’épreuve qu’il venait de subir, pendant six mois, de la vie. Il était sorti des fantômes ; il y avait maintenant en lui une mesure réelle, à laquelle il pouvait rapporter toutes ses pensées, pour en juger le degré de vérité ou de mensonge.

Le dégoût que lui inspirèrent ses compositions anciennes, produites sans passion, fit qu’avec son exagération accoutumée, il décida de ne plus rien écrire, qu’il ne fût contraint d’écrire par une nécessité passionnée ; et, laissant là sa poursuite aux idées, il jura de renoncer pour toujours à la musique, si la création ne s’imposait à lui, à coups de tonnerre.