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la révolte

Kunz, un peu en dehors du village, dans un petit jardin. Il tambourina à sa porte, et l’appela à tue-tête. Une fenêtre s’ouvrit, et Kunz, effaré, parut. Il essayait de voir dans l’obscurité, et demanda :

— Qui est là ? Qu’est-ce qu’on me veut ?

Schulz, essoufflé et joyeux, criait :

— Krafft… Krafft vient demain…

Kunz n’y comprenait rien ; mais il reconnut la voix :

— Schulz !… Comment ! À cette heure ? Qu’y a-t-il ?

Schulz répéta :

— Il vient demain, demain matin !…

— Quoi ? demandait toujours Kunz, ahuri.

— Krafft ! cria Schulz.

Kunz resta un moment à méditer le sens de cette parole ; puis une exclamation retentissante témoigna qu’il avait compris.

— Je descends ! cria-t-il.

La fenêtre se referma. Il parut sur le perron de l’escalier, une lampe à la main, et descendit dans le jardin. C’était un petit vieux bedonnant, avec une grosse tête grise, une barbe rouge, des taches de rousseur sur le visage et sur les mains. Il venait à petits pas, en fumant sa pipe de porcelaine. Cet homme débonnaire et un peu endormi ne s’était jamais fait grands soucis dans sa vie. La nouvelle que lui apportait Schulz n’en était pas moins capable de le faire sortir de son calme ; et il agitait ses bras courts et sa lampe, en demandant :

— Quoi ? c’est vrai ? Il vient ?

— Demain matin ! répéta Schulz, triomphant, en agitant la dépêche.

Les deux vieux amis allèrent s’asseoir sur un banc, sous la tonnelle. Schulz prit la lampe. Kunz déplia soigneusement la dépêche, lut lentement, à mi-voix : Schulz relisait tout haut, par-dessus son épaule. Kunz regarda encore le papier, les indications qui encadraient le télégramme, l’heure où il avait été envoyé, l’heure où il était arrivé, le nombre des mots.

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