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Jean-Christophe

rêvait. Le paquet de musique était là, sur son lit : il n’avait pas le courage de l’ouvrir ; il se sentait le cœur triste. Enfin, il soupira, et, après avoir défait très soigneusement la ficelle, il remit ses lunettes, et commença à lire les morceaux de musique. Sa pensée était ailleurs : elle revenait toujours à des souvenirs qu’il voulait écarter.

Le cahier qu’il tenait était celui de Christophe. Ses yeux tombèrent sur un vieux cantique, dont Christophe avait repris les paroles à un naïf et pieux poète du dix-septième siècle, en renouvelant leur expression : le Christliches Wanderlied (chant du voyageur chrétien) de Paul Gerhardt.


Hoff, o du arme Seele,
Hoff und seiunverzagt !
.................
Erwarte nur der Zeit,
So wirst du schon erblicken
Die Sonn der schönsten Freud.

« Espère, ô toi, pauvre âme,
espère, et sois intrépide !
.................
Attends seulement, attends :
et voici que tu vas voir
le soleil de la belle Joie. »


Le vieux Schulz connaissait bien ces candides paroles ; mais jamais elles ne lui avaient parlé ainsi, ainsi… Ce n’était plus la tranquille piété, qui calme et endort l’âme par sa monotonie. C’était une âme comme la sienne, c’était son âme même, mais plus jeune et plus forte, qui souffrait, qui voulait espérer, qui voulait voir la Joie, qui la voyait. Ses mains tremblaient, de grosses larmes coulaient le long de ses joues. Il continua :


Auf, auf ! gieb deinem Schmerze
Und Sorge ngute Nacht !
Lass fahren, was das Herze
Betrübt und traurig macht !
.................

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