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Jean-Christophe

ses illusions éternelles. Pourquoi aller au devant d’un nouveau chagrin ? — Mais c’était fait maintenant. Il était trop tard pour changer.

Ces pensées occupèrent sa dernière heure d’attente. — Son train était enfin formé. Il y monta, le premier ; et son enfantillage était tel, qu’il ne commença à respirer que lorsque le train s’ébranla, et que, par la portière du wagon, il vit derrière lui s’effacer dans le ciel gris, sous les tristes averses, la silhouette de la ville, sur laquelle la nuit tombait. Il lui semblait qu’il serait mort, s’il avait passé la nuit là.

À cette même heure, — vers six heures du soir, — une lettre de Hassler arrivait pour Christophe, à son hôtel. La visite de Christophe avait remué bien des choses en lui. Pendant tout l’après-midi, il y avait songé avec amertume, et non sans sympathie pour le pauvre garçon qui était venu à lui avec une telle ardeur d’affection, et qu’il avait reçu d’une façon glaciale. Il se reprochait son accueil. À vrai dire, ce n’avait été de sa part qu’un de ces accès de bouderie quinteuse, dont il était coutumier. Il pensa le réparer, en envoyant à Christophe, avec un billet pour l’Opéra, un mot qui lui donnait rendez-vous, à l’issue de la représentation. — Christophe n’en sut jamais rien. En ne le voyant pas venir, Hassler pensa :

— Il est fâché. Tant pis pour lui !

Il haussa les épaules, et n’en chercha pas plus long. Le lendemain, il ne pensait plus à lui.

Le lendemain, Christophe était loin de lui, — si loin que toute l’éternité n’eût pas suffi à les rapprocher l’un de l’autre. Et tous deux étaient seuls pour jamais.