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Hassler était célèbre. Ses ennemis n’avaient pas désarmé ; mais ses amis criaient qu’il était le plus grand musicien présent, passé, et futur. Il était entouré de partisans et de dénigrants également absurdes. Comme il n’était pas d’une forte trempe, il avait été aigri par ceux-ci, et amolli par ceux-là. Il mettait toute son énergie à faire ce qui était désagréable à ses critiques et pouvait les faire crier ; il était comme un gamin qui joue des niches. Ces niches étaient souvent du goût le plus détestable : non seulement, il employait son talent prodigieux à des excentricités musicales, qui faisaient hérisser les cheveux sur la tête des pontifes ; mais il manifestait une prédilection taquine pour des textes baroques, pour des sujets bizarres, souvent aussi pour des situations équivoques et scabreuses, en un mot, pour tout ce qui pouvait blesser le bon sens et la décence ordinaires. Il était content, quand le bourgeois hurlait ; et le bourgeois ne s’en faisait pas faute. L’empereur même, qui se mêlait d’art, comme chacun sait, avec l’insolente présomption des parvenus et des princes, regardait comme un scandale public la renommée de Hassler, et ne laissait échapper aucune occasion de manifester à ses œuvres effrontées une indifférence méprisante. Hassler, enragé et enchanté de cette auguste opposition, qui, pour les partis avancés de l’art allemand, était presque devenue une consécration, continuait de plus belle à casser les vitres. À chaque nouvelle sottise, les amis s’extasiaient, et criaient au génie.

La coterie de Hassler se composait surtout de littérateurs,

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