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la révolte

de la vie, et de la corruption de son temps, — et Jean-Christian Günther, le génie déréglé, qui se brûla dans l’orgie et le désespoir, jetant sa vie à tous les vents. De Günther, il avait traduit les cris de provocation et d’ironie vengeresse contre le Dieu ennemi qui l’écrase, ces malédictions furieuses du Titan terrassé, qui retourne la foudre contre le ciel. De Fleming, il avait pris des chants d’amour à Anemone et à Basilene, suaves et doux comme des fleurs, — et la ronde des étoiles, le Tanzlied (chant de danse) des cœurs limpides et joyeux, — et le sonnet héroïque et tranquille : À soi-même (An Sich), que Christophe se récitait, comme prière du matin.

L’optimisme souriant du pieux Paul Gerhardt charmait aussi Christophe. C’était pour lui un repos, au sortir de ses tristesses. Il aimait cette vision innocente de la nature en Dieu, les prairies fraîches, où les cigognes se promènent gravement au milieu des tulipes et des narcisses blancs, au bord des ruisselets qui chantent sur le sable, l’air transparent où passent les hirondelles aux grandes ailes et le vol des colombes, la gaieté d’un rayon de soleil qui déchire la pluie, et le ciel lumineux qui rit entre les nuées, et la sérénité majestueuse du soir, le repos des forêts, des troupeaux, des villes et des champs. Il avait eu l’impertinence de remettre en musique plusieurs de ces cantiques spirituels, qui étaient encore chantés dans les communautés protestantes. Et il s’était bien gardé de leur conserver leur caractère de choral. Loin de là : il l’avait en horreur ; il leur avait donné une expression libre et vivante. Le vieux Gerhardt eût frémi peut-être de l’orgueil diabolique que respiraient maintenant certaines strophes de son Lied du Voyageur chrétien, ou de l’allégresse païenne qui faisait déborder comme un torrent le flot paisible de son Chant d’été.

La publication fut faite, et naturellement en dépit du bon sens. L’éditeur, que Christophe payait pour faire l’impression de ses Lieder et les garder en dépôt, n’avait d’autre

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