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Le lendemain matin, il redescendit, comme d’habitude. Il était ravagé. Il ne dit rien, et sa mère n’osa rien lui demander : elle savait déjà, par les rapports du voisinage. Tout le jour, il resta sur une chaise, au coin du feu, muet, fiévreux, le dos courbé, comme un petit vieux ; et, quand il était seul, il pleurait en silence.

Vers le soir, le rédacteur du journal socialiste vint le voir. Naturellement, il était au courant, et voulait des détails. Christophe, touché de sa visite, l’interpréta naïvement comme une démarche de sympathie et d’excuses de la part de ceux qui l’avaient compromis ; il mit son amour-propre à ne sembler rien regretter, et il se laissa aller à dire tout ce qu’il avait sur le cœur : c’était un soulagement pour lui de parler librement à un homme qui eût comme lui la haine de l’oppression. L’autre l’excitait à parler : il voyait dans l’événement une bonne affaire pour son journal, l’occasion d’un article scandaleux, dont il attendait que Christophe lui fournît les éléments, à moins que Christophe ne l’écrivît lui-même ; car il comptait qu’après cet éclat, le musicien de la cour mettrait au service de « la cause » son talent de polémiste, qui était fort appréciable, et ses petits documents secrets sur la cour, qui l’étaient encore plus. Comme il ne se piquait pas d’une délicatesse exagérée, il présenta la chose sans artifice, sous le jour le plus cru. Christophe en eut un haut-le-corps ; il déclara qu’il n’écrirait rien, alléguant que toute attaque de sa part contre le grand-duc serait interprétée en ce moment comme un acte de vengeance person-

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