Page:Rolland - Jean-Christophe, tome 4.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Encore sous le charme de Corinne, et tout plein des idées qu’ils avaient échangées sur l’art, Christophe rêva d’écrire de la musique pour une pièce où Corinne jouerait, et où elle chanterait quelques airs, — une sorte de mélodrame poétique. Ce genre d’art, jadis si en faveur en Allemagne, admiré passionnément par Mozart, pratiqué par Beethoven, par Weber, par Mendelssohn, par Schumann, par tous les grands classiques, était tombé en discrédit depuis le triomphe du wagnérisme, qui prétendait avoir réalisé la formule définitive du théâtre et de la musique. Les braves pédants wagnériens, non contents de proscrire tout mélodrame nouveau, s’appliquaient à faire la toilette des mélodrames et des opéras anciens ; ils effaçaient avec soin toute trace des dialogues parlés, et écrivaient pour Mozart, pour Beethoven, ou pour Weber, des récitatifs de leur façon ; ils étaient convaincus de rendre ainsi service à la gloire des maîtres et de compléter leur pensée, en déposant pieusement sur les chefs-d’œuvre leurs petites ordures.

Christophe, à qui les critiques de Corinne avaient rendu plus sensible la lourdeur et, souvent, la laideur de la déclamation wagnérienne, se demandait depuis longtemps si ce n’était pas un non-sens, une œuvre contre nature, d’accoupler au théâtre et de ligoter ensemble dans le récitatif la parole et le chant : c’était comme si l’on voulait attacher au même char un cheval et un oiseau. La parole et le chant avaient chacun leurs rythmes. On pouvait comprendre, à la rigueur, qu’un artiste sacrifiât l’un des deux arts au triomphe de

144