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la révolte


« Veine ! Jézabel malade ! Relâche ! Vive la classe !… Ami ! Venez ! Ferons la dînette ensemble !

« Amie !
« Corinette.

« P. S. — Portez beaucoup de musique !… »


Il eut quelque peine à comprendre. Quand il eut compris, il fut aussi content que Corinne, et se rendit aussitôt à l’hôtel. Il craignait de trouver toute la troupe réunie au dîner ; mais il ne vit personne. Corinne même avait disparu. À la fin, il entendit sa voix bruyante et riante, tout au fond de la maison ; il se mit à sa recherche, et parvint à la découvrir dans la cuisine. Elle s’était mis en tête d’exécuter un plat de sa façon, un de ces plats méridionaux, dont l’arôme exubérant remplit tout un quartier et réveillerait les pierres. Elle était au mieux avec la grosse patronne de l’hôtel, et elles baragouinaient ensemble un jargon effroyable, mêlé d’allemand, de français et de nègre, qui n’avait de nom en aucune langue. Elles riaient aux éclats, en se faisant goûter mutuellement leurs œuvres. L’apparition de Christophe augmenta le tapage. On voulut le mettre à la porte ; mais il se défendit, et il réussit à goûter aussi du fameux plat. Il fit un peu la grimace : sur quoi elle le traita de barbare Teuton, et dit que ce n’était pas la peine de se donner du mal pour lui.

Ils remontèrent ensemble au petit salon, où la table était prête : il n’y avait que son couvert et celui de Corinne. Il ne put s’empêcher de demander où étaient les camarades. Corinne eut un geste indifférent :

— Je ne sais pas.

— Vous ne soupez pas ensemble ?

— Jamais ! C’est déjà bien assez de se voir au théâtre !… Ah bien ! s’il fallait encore se retrouver à table !…

Cela était si différent des habitudes allemandes, qu’il en fut étonné et charmé :

— Je croyais, dit-il, que vous étiez un peuple sociable !

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