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Tout cela eût été assez indifférent aux amis de Christophe, si leur Revue n’avait aussi reçu des horions dans la bataille. À la vérité, c’était plutôt en guise d’avertissement ; on ne cherchait pas à l’engager à fond dans la querelle, on visait bien plutôt à la séparer de Christophe : on s’étonnait qu’elle compromît ainsi son bon renom, et on laissait entendre que, si elle n’y avisait point, on serait contraint, quelque regret qu’on en eût, de s’en prendre également au reste de la rédaction. Un commencement d’attaques, assez anodines, contre Adolf Mai et Mannheim, mit l’émoi dans le guêpier. Mannheim ne fit qu’en rire : il pensait que cela ferait enrager son père, ses oncles, ses cousins, et son innombrable famille, qui s’arrogeaient le droit de surveiller tout ce qu’il faisait et de s’en scandaliser. Mais Adolf Mai le prit fort au sérieux, et il reprocha à Christophe de compromettre la Revue. Christophe l’envoya promener. Les autres, n’ayant pas été atteints, trouvaient plutôt plaisant que Mai, qui pontifiait avec eux, écopât à leur place. Waldhaus en ressentit une jouissance secrète : il dit qu’il n’y avait pas de combat sans quelques têtes cassées. Naturellement, il entendait bien que ce ne serait point la sienne ; il se croyait à l’abri des coups, par sa situation de famille et par ses relations ; et il ne voyait pas de mal à ce que les Juifs, ses alliés, fussent un peu houspillés. Ehrenfeld et Goldenring, indemnes jusque-là, ne se fussent pas troublés de quelques attaques : ils étaient capables de répondre. Ce qui leur était beaucoup plus sensible, c’était l’obstination avec laquelle Christophe s’acharnait à les

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