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Jean-Christophe

étaient là : c’était une confusion de voix. Pour achever de l’accabler, Louisa, qu’on avait appelée, parut ; et, au lieu de le défendre, elle commença par le claquer, elle aussi, avant de rien savoir, et voulut qu’il demandât pardon. Il s’y refusa avec rage. Elle le secoua plus fort, et le traîna par la main vers la dame et les enfants, pour qu’il se mît à genoux. Mais il trépigna, hurla, et mordit la main de sa mère. Il se sauva enfin au milieu des domestiques qui riaient.

Il s’en allait, le cœur gonflé, la figure brûlante de colère et des tapes qu’il avait reçues. Il tâchait de ne pas penser, et il hâtait le pas, parce qu’il ne voulait pas pleurer dans la rue. Il aurait voulu être rentré, pour pouvoir se soulager de ses larmes ; il avait la gorge serrée, le sang à la tête, il éclatait.

Enfin, il arriva ; il monta en courant le vieil escalier noir, jusqu’à sa niche habituelle dans l’embrasure d’une fenêtre, au-dessus du fleuve ; il s’y jeta hors d’haleine ; et ce fut un déluge de pleurs. Il ne savait pas au juste pourquoi il pleurait ; mais il fallait qu’il pleurât ; et quand le premier flot fut à peu près passé, il pleura encore, parce qu’il voulait pleurer, avec une sorte de rage, pour se faire souffrir, comme s’il punissait ainsi les autres, en même temps que lui. Puis il pensa que son père allait rentrer, que sa mère raconterait tout et que ses malheurs

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