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l’aube

coude ; ce que Christophe trouva laid et malhonnête. De quel ton sec et cassant elle parlait à Louisa ! Et comme Louisa lui répondait humblement ! Christophe en fut saisi. Il se dissimula dans son coin, pour ne pas être aperçu ; mais cela ne servit à rien. La dame demanda qui était ce petit garçon ; Louisa vint le prendre et le présenter ; elle lui tenait les mains pour l’empêcher de se cacher la figure ; et, bien qu’il eût envie de se débattre et de fuir, Christophe sentit d’instinct qu’il fallait cette fois ne faire aucune résistance. La dame regarda la mine effarée de l’enfant ; et son premier mouvement, tout maternel, fut de lui sourire gentiment. Mais elle reprit aussitôt son air protecteur, et lui posa sur sa conduite, sur sa piété, des questions auxquelles il ne répondit rien. Elle regarda aussi comment les vêtements allaient ; et Louisa s’empressa de montrer qu’ils étaient superbes. Elle tirait le veston, pour effacer les plis ; Christophe avait envie de crier, tant il était serré. Il ne comprenait pas pourquoi sa mère remerciait.

La dame le prit par la main, et dit qu’elle voulait le conduire à ses enfants. Christophe jeta un regard désespéré vers sa mère ; mais elle souriait à la maîtresse d’un air si empressé, qu’il vit qu’il n’y avait rien à espérer d’elle ; et il suivit son guide comme un mouton qu’on mène à la boucherie.

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