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Les Krafft étaient originaires d’Anvers. Le vieux Jean-Michel avait quitté le pays, à la suite de frasques de jeunesse, d’une rixe violente, comme il en avait souvent, — car il était diablement batailleur, — et qui avait eu cette fois un fâcheux dénouement. Il était venu s’établir, il y avait presque un demi-siècle, dans la petite ville princière, dont les toits rouges aux faîtes pointus, et les jardins ombreux, étagés sur la pente d’une molle colline, se mirent dans les yeux vert-pâle du Vater Rhein. Excellent musicien, il s’était fait promptement apprécier dans un pays où tous sont musiciens. Il y avait pris racine en épousant, à quarante ans passés, Clara Sartorius, la fille du maître de chapelle du prince, qui lui transmit sa charge. Clara était une Allemande placide, qui avait deux passions : la cuisine et la musique. Elle eut pour son mari un culte qu’égalait seul celui qu’elle avait pour son père. Jean-Michel n’admirait pas moins sa femme. Ils avaient vécu en parfait accord pendant quinze ans ; et ils avaient eu quatre enfants. Puis Clara était morte ; et Jean-Michel, après l’avoir

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