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l’aube

vait à l’entrée du petit chemin creux, près du Rhin. Le soleil s’enfonçait dans les champs. Le sentier serpentait presque au ras de l’eau. L’herbe abondante et molle pliait sous les pas, avec un grésillement. Des aulnes se penchaient sur le fleuve, baignés jusqu’à mi-corps. Une nuée de moucherons dansaient. Un canot passait sans bruit, entraîné par le courant paisible aux larges enjambées. Les flots suçaient les branches des saules avec un petit bruit de lèvres. La lumière était fine et brumeuse, l’air frais, le fleuve, gris d’argent. On revenait au gîte, et les grillons chantaient. Et dès le seuil souriait le cher visage de maman…

Ô délicieux souvenirs, bienfaisantes images, qui bourdonneront, comme un vol harmonieux, pendant toute la vie !… Les voyages qu’on fait plus tard, les grandes villes, les mers mouvantes, les paysages de rêves, les figures aimées, ne se gravent pas dans l’âme avec la justesse infaillible de ces promenades d’enfance, ou du simple coin de jardin tous les jours entrevu par la fenêtre, à travers la buée de vapeur que fait sur la vitre la petite bouche collée de l’enfant désœuvré…