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Jean-Christophe

à peine assis, et souvent pas assis du tout, il était parfaitement heureux ; il causait tout haut, sans s’inquiéter des réponses. Il regardait remuer les oreilles du cheval. Quelles bêtes étranges que ces oreilles ! Elles allaient de tous côtés, à droite, à gauche, elles pointaient en avant, elles tombaient de côté, elles se retournaient en arrière, d’une façon si burlesque, qu’il riait aux éclats. Il pinçait son grand-père pour les lui faire remarquer. Mais grand-père ne s’y intéressait pas. Il repoussait Christophe, en lui disant de le laisser tranquille. Christophe réfléchissait : il pensait que quand on est grand, on ne s’étonne plus de rien, on est fort, on connaît tout. Et il tâchait d’être grand, lui aussi, de cacher sa curiosité, de paraître indifférent.

Il se taisait. Le roulement de la voiture l’assoupissait. Les grelots du cheval dansaient. Dig, ding, dong, ding. Des musiques s’éveillaient dans l’air ; elles voletaient autour des sonnailles argentines, comme un essaim d’abeilles ; elles se balançaient gaiement sur le rythme de la carriole ; c’était une source intarissable de chansons : l’une succédait à l’autre. Christophe les trouvait superbes. Il y en eut une surtout qui lui parut si belle, qu’il voulut attirer l’attention de grand-père. Il la chanta plus fort. On n’y prit pas garde. Il la recommença sur un ton au-dessus, — puis encore une fois, à tue-

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