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Jean-Christophe

Silence… Les feuilles doucement frémissent et tremblent au soleil, une vapeur légère passe dans l’air, les mouches indécises se balancent, en ronflant comme un orgue ; les sauterelles ivres d’été crissent avec une âpre allégresse : tout se tait… Sous la voûte des bois, le cri du pivert a des timbres magiques. Au loin, dans la plaine, une voix de paysan interpelle ses bœufs ; le sabot d’un cheval sonne sur la route blanche. Les yeux de Christophe se ferment. Près de lui, une fourmi chemine sur une branche morte en travers d’un sillon. Il perd conscience… Des siècles ont passé. Il se réveille. La fourmi n’a pas encore fini de traverser la brindille.

Grand-père dormait trop longtemps quelquefois ; sa figure devenait rigide, son long nez se tirait, sa bouche s’ouvrait en long. Christophe le regardait avec inquiétude et craignait de voir sa tête se changer peu à peu en une forme fantastique. Il chantait plus fort pour le réveiller, ou il se laissait dégringoler à grand fracas de son talus de pierres. Un jour, il inventa de lui jeter à la figure quelques aiguilles de pin, et de lui dire qu’elles étaient tombées de l’arbre. Le vieux le crut : cela fit bien rire Christophe. Mais il eut la mauvaise idée de recommencer ; et, juste au moment où il levait la main, il vit les yeux de grand-père qui le regardaient. Ce fut une méchante affaire ; le vieux était solennel, et

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