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l’aube

gine pas tout le parti qu’on pouvait tirer d’un simple morceau de bois, d’une branche cassée, comme on en trouve toujours le long des haies. (Quand on n’en trouve pas, on en casse.) C’était la baguette des fées. Longue et droite, elle devenait une lance, ou peut-être une épée ; il suffisait de la brandir pour faire surgir des armées. Christophe en était le général, il marchait devant elles, il leur donnait l’exemple, il montait à l’assaut des talus. Quand la branche était flexible, elle se transformait en fouet. Christophe montait à cheval, sautait des précipices. Il arrivait que la monture glissât ; et le cavalier se retrouvait au fond du fossé, regardant d’un air penaud ses mains salies et ses genoux écorchés. Si la baguette était petite, Christophe se faisait chef d’orchestre ; il était le chef, et il était l’orchestre ; il dirigeait, et il chantait ; et ensuite, il saluait les buissons, dont le vent agitait les petites têtes vertes.

Il était aussi magicien. Il marchait à grands pas dans les champs, en regardant le ciel, et en agitant les bras. Il commandait aux nuages. Il voulait qu’ils allassent à droite. Mais ils allaient à gauche. Alors il les injuriait, et réitérait son ordre. Il les guettait du coin de l’œil, avec un battement de cœur, observant s’il n’y en aurait pas au moins un petit qui lui obéirait ; mais ils continuaient de cou-

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