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l’aube

musique. Tant de deuils, tant de fêtes ! — Et, du fond de la chambre, il semble, en les entendant, qu’on voit passer les belles ondes sonores qui coulent dans l’air léger, les libres oiseaux, et le souffle tiède du vent. Un coin de ciel bleu sourit à la fenêtre. Un rayon de soleil se glisse sur le lit, à travers les rideaux. Le petit monde familier aux regards de l’enfant, tout ce qu’il voit de son lit, chaque matin, en s’éveillant, tout ce qu’il commence à peine, au prix de tant d’efforts, à reconnaître et à nommer, afin d’en être le maître, — son royaume s’illumine. Voici la table où l’on mange, le placard où il se cache pour jouer, le carrelage en losanges sur lequel il se traîne, et le papier du mur, dont les grimaces lui content des histoires burlesques ou effrayantes, et l’horloge qui jacasse des paroles boiteuses, qu’il est seul à comprendre. Que de choses dans cette chambre ! Il ne les connaît pas toutes. Chaque jour, il repart en exploration dans cet univers qui est à lui : — tout est à lui. — Rien n’est indifférent, tout se vaut, un homme ou une mouche ; tout vit également : le chat, le feu, la table, les grains de poussière qui dansent dans un rayon de soleil. La chambre est un pays ; un jour est une vie. Comment se reconnaître au milieu de ces espaces immenses ? Le monde est si grand ! On s’y perd. Et ces figures, ces gestes, ce mouvement, ce bruit, qui

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