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Jean-Christophe

— Je ne sais pas, dit Christophe d’une voix lamentable. Je voulais écrire un joli morceau.

— Voilà ! Tu as écrit pour écrire. Tu as écrit pour être un grand musicien, pour qu’on t’admirât. Tu as été orgueilleux, tu as menti : tu as été puni… Voilà ! On est toujours puni, lorsqu’on est orgueilleux et qu’on ment, en musique. La musique veut être modeste et sincère. Autrement, qu’est-ce qu’elle est ? Une impiété, un blasphème contre le Seigneur, qui nous a fait présent du beau chant pour dire des choses vraies et honnêtes.

Il s’aperçut du chagrin du petit et voulut l’embrasser. Mais Christophe se détourna avec colère ; et plusieurs jours, il le bouda. Il haïssait Gottfried. — Mais il avait beau se répéter : « C’est un âne ! Il ne sait rien, rien ! Grand-père, qui est bien plus intelligent, trouve que ma musique est très bien » ; — au fond de lui-même, il savait que c’était son oncle qui avait raison ; et les paroles de Gottfried se gravaient profondément en lui : il avait honte d’avoir menti.

Aussi, malgré sa rancune tenace, pensait-il toujours à lui maintenant, quand il écrivait de la musique : et souvent il déchirait ce qu’il avait écrit, par honte de ce que Gottfried en aurait pu penser. Quand il passait outre et écrivait un air, qu’il savait ne pas être tout à fait sincère, il le cachait soigneu-

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