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Jean-Christophe

La lune s’était levée, ronde et brillante, derrière les champs. Une bruine d’argent flottait au ras de terre, et sur les eaux miroitantes. Les grenouilles causaient, et l’on entendait dans les prés la flûte mélodieuse des crapauds. Le trémolo aigu des grillons semblait répondre au tremblement des étoiles. Le vent froissait doucement les branches des aulnes. Des collines au-dessus du fleuve, descendait le chant fragile d’un rossignol.

— Qu’est-ce que tu as besoin de chanter ? soupira Gottfried, après un long silence. — (On ne savait s’il se parlait à lui-même, ou à Christophe.) — Est-ce qu’ils ne chantent pas mieux que tout ce que tu pourras faire ?

Christophe avait bien des fois entendu tous ces bruits de la nuit, et il les aimait. Mais jamais il ne les avait entendus ainsi. C’est vrai : qu’est-ce qu’on avait besoin de chanter ?… Il se sentait le cœur gonflé de tendresse et de chagrin. Il aurait voulu embrasser les prés, le fleuve, le ciel, les chères étoiles. Et il était pénétré d’amour pour l’oncle Gottfried, qui lui semblait maintenant le meilleur, le plus intelligent, le plus beau de tous. Il pensait combien il l’avait mal jugé ; et il pensait que l’oncle était triste, parce que Christophe le jugeait mal. Il était plein de remords. Il éprouvait le besoin de lui crier : « Oncle, ne sois plus triste ! je ne serai plus

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