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Jean-Christophe

sa poche quelque gentil cadeau, choisi avec cœur. On y était si habitué, qu’on songeait à peine à le remercier : cela semblait naturel, et il paraissait suffisamment payé par le plaisir qu’il avait à l’offrir. Mais Christophe, qui ne dormait pas très bien, et qui, pendant la nuit, ressassait dans son cerveau les événements de la journée, réfléchissait parfois que son oncle était très bon ; et il lui venait pour le pauvre homme des effusions de reconnaissance, dont il ne lui montrait rien, une fois le jour venu, parce qu’alors il ne pensait plus qu’à se moquer de lui. Il était d’ailleurs trop petit encore pour attacher à la bonté tout son prix : dans le langage des enfants bon et bête sont presque synonymes ; et l’oncle Gottfried en semblait la preuve vivante.

Un soir que Melchior dînait en ville, Gottfried, resté seul dans la salle du bas, tandis que Louisa couchait les deux petits, sortit, et alla s’asseoir à quelques pas de la maison, au bord du fleuve. Christophe l’y suivit par désœuvrement ; et, comme d’habitude, il le persécuta de ses agaceries de jeune chien, jusqu’à ce qu’il fût essoufflé et se laissât rouler sur l’herbe à ses pieds. Couché sur le ventre, il s’enfonça le nez dans le gazon. Quand il eut repris haleine, il chercha quelque nouvelle sottise à dire ; et, l’ayant trouvée, il la cria, en se tordant de rire

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