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Jean-Christophe

pour aller au théâtre diriger les répétitions, où Christophe n’était pas admis ; et comme il était fort indolent, il allait et revenait toujours dans la voiture du prince. Christophe avait donc fort peu d’occasions de le contempler ; et il ne réussit qu’une fois à apercevoir au passage, au fond de la voiture, son manteau de fourrure, bien qu’il perdît des heures à l’attendre dans la rue, donnant de forts coups de pied et de poing à droite, à gauche, devant et derrière, pour conquérir et maintenir sa place au premier rang des badauds. Il se consolait, en passant la moitié de ses journées à guetter les fenêtres du palais, qu’on lui avait désignées comme étant celles du maître. Le plus souvent, il ne voyait que les volets ; car Hassler se levait tard, et les fenêtres restaient fermées presque toute la matinée. C’est ce qui avait fait dire aux gens bien informés que Hassler ne pouvait supporter le jour, et qu’il vivait dans une nuit perpétuelle.

Enfin Christophe fut admis à approcher son héros. C’était le jour du concert. Toute la ville était là. Le grand-duc et sa cour occupaient la grande loge princière, surmontée d’une couronne, que tenaient dans les airs, avec des ronds de jambes, deux chérubins joufflus. Le théâtre avait un aspect de gala. La scène était ornée de branches de chêne et de lauriers fleuris. Tous les musiciens de quelque va-

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