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Jean-Christophe

L’enfant regardait et écoutait avidement ; il lui semblait qu’il était emporté par le fleuve, qu’il passait avec lui… Quand il fermait les yeux, il voyait des couleurs : bleu, vert, jaune, rouge, et de grandes ombres qui courent, et des nappes de soleil… Les images se précisent. Voici une large plaine, des roseaux, des moissons ondulant sous la brise qui sent l’herbe fraîche et la menthe. Des fleurs de tous côtés, des bleuets, des pavots, des violettes. Que c’est beau ! Que l’air est délicieux ! Qu’il doit faire bon s’étendre dans l’herbe épaisse et douce !… Christophe se sent joyeux et un peu étourdi, comme lorsque son père lui a, les jours de fête, versé dans son grand verre un doigt de vin du Rhin… — Le fleuve passe… Le pays a changé… Ce sont maintenant des arbres qui se penchent sur l’eau ; leurs feuilles dentelées, comme de petites mains, trempent, s’agitent et se retournent sous les flots. Un village, parmi les arbres, se mire dans le fleuve. On voit les cyprès et les croix du cimetière par dessus le mur blanc, que lèche le courant. Puis ce sont des rochers, un défilé de montagnes, les vignes sur les pentes, un petit bois de sapins, et les burgs ruinés… — Et de nouveau, la plaine, les moissons, les oiseaux, le soleil…

La grande masse verte du fleuve continue de passer, une comme une seule pensée, sans vagues,

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