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l’aube

peur, lui demander de le sauver, de le rassurer au moins ! Mais il craignait qu’on se moquât de lui, qu’on le traitât de lâche : et puis, il savait trop déjà que tout ce qu’on pourrait dire ne servirait à rien. Et, pendant des heures, il resta plein d’angoisse, croyant sentir le mal qui se glissait en lui, des douleurs dans la tête, une gêne au cœur, et pensant, terrifié : « C’est fini, je suis malade, je vais mourir, je vais mourir ! » Une fois, il se dressa dans son lit, appela sa mère à voix basse ; mais ils dormaient et il n’osa les réveiller.

Depuis ce temps, son enfance fut empoisonnée par l’idée de la mort. Ses nerfs se livraient à toutes sortes de petits maux sans cause, des oppressions, des élancements, des étouffements soudains. Son imagination s’affolait devant ces douleurs, et croyait voir en chacune d’elles la bête meurtrière qui lui prendrait sa vie. Que de fois il souffrit l’agonie, à quelques pas de sa mère, assise tout auprès de lui, sans qu’elle en devinât rien ! Car, dans sa lâcheté, il avait le courage de renfermer en lui ses terreurs, par un bizarre mélange de sentiments : la fierté de ne pas recourir aux autres, la honte d’avoir peur, les scrupules d’une affection qui ne veut pas inquiéter. Mais il pensait sans cesse : « Cette fois je suis malade, je suis gravement malade. C’est une angine qui commence… » Il avait

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