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Jean-Christophe

comme il se couchait, il demanda à Louisa, qui venait l’embrasser :

— Maman, est-ce qu’il couchait dans mon lit ?

La pauvre femme tressaillit : et d’une voix qu’elle tâchait de rendre indifférente, elle demanda :

— Qui ?

— Le petit garçon… qui est mort, dit Christophe, en baissant la voix.

Les mains de sa mère le serrèrent brusquement :

— Tais-toi, tais-toi, dit-elle.

Sa voix tremblait : Christophe, qui avait la tête appuyée contre sa poitrine, entendit son cœur qui battait. Il y eut un instant de silence ; puis elle dit :

— Il ne faut plus jamais parler de cela, mon chéri… Dors tranquillement… Non, ce n’est pas son lit.

Elle l’embrassa ; il crut sentir que sa joue était mouillée, il aurait voulu en être sûr. Il était un peu soulagé ; elle avait donc du chagrin ! Pourtant il en douta de nouveau, l’instant d’après, quand il l’entendit dans la chambre à côté parler d’une voix tranquille, sa voix de tous les jours. Qu’est-ce qui était vrai, de maintenant ou de tout à l’heure ? — Il se tourna longtemps dans son lit, sans trouver la réponse. Il aurait voulu que sa mère eût de la peine : non que cela ne lui en fit aussi de penser qu’elle était triste : mais cela lui aurait fait, malgré tout,

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