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l’aube

lueur n’éclairait pas, et elle était plus oppressante que la nuit ; elle faisait l’obscurité plus sombre autour d’elle : c’était une lumière de glas. Les nuages descendaient presque au ras du sol. Les buissons devenaient énormes et bougeaient. Les arbres squelettes ressemblaient à des vieillards grotesques. Les bornes du chemin avaient des reflets de linges livides. L’ombre remuait. Il y avait des nains assis dans les fossés, des lumières dans l’herbe, des vols effrayants dans l’air, des cris stridents d’insectes, qui sortaient on ne sait d’où. Christophe était toujours dans l’attente angoissée de quelque excentricité sinistre de la nature. Il courait, et son cœur sautait dans sa poitrine.

Quand il voyait la lumière dans la chambre de grand-père, il se rassurait. Mais le pire était que souvent le vieux Krafft n’était pas rentré. Alors c’était plus effrayant encore. Cette vieille maison, perdue dans la campagne, intimidait l’enfant, même en plein jour. Il oubliait ses craintes, quand le grand-père était là ; mais quelquefois, le vieux le laissait seul, et sortait sans le prévenir. Christophe n’y avait pas pris garde. La chambre était paisible. Tous les objets étaient familiers et bienveillants. Il y avait un grand lit de bois blanc ; au chevet du lit, une grosse Bible sur une planchette, des fleurs artificielles sur la cheminée, avec les photographies

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