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LES IDOLES

D’abord, ce furent les divinités de bois, de pierre ou de métal. Celles-là n’étaient pas du moins à l’abri de la hache ou du feu. D’autres vinrent ensuite que rien ne pouvait atteindre, car elles étaient sculptées dans l’esprit invisible ; et toutes aspiraient pourtant au royaume matériel. Pour leur domination, les peuples ont répandu le meilleur de leur sang. Idoles des religions, idoles des patries, idole de la liberté que les armées sans-culottes firent régner sur l’Europe à coups de canon !… Les maîtres ont changé, les esclaves sont les mêmes. Notre siècle a fait connaissance avec deux espèces nouvelles : l’idole de la race, qui, sortie de rêves généreux est devenue dans les laboratoires de savants à lunettes le Moloch que l’Allemagne de 1870 a lancé contre la France, et que ses adversaires semblent vouloir reprendre contre l’Allemagne d’aujourd’hui ; — et la dernière venue, le produit authentique de la science germanique fraternellement unie aux labeurs de l’industrie, du commerce et de la maison Krupp : l’idole de la Kultur, entourée de ses lévites, les penseurs de l’Allemagne.



Le trait commun au culte de toutes les idoles est l’adaptation d’un idéal aux mauvais instincts de l’homme. L’homme cultive les vices qui lui sont profitables ; mais il a besoin de les