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moi à Lyon, de lire pour m’en faire le rapport. Je resterait à Lyon le moins qu’il me sera possible. Nos vendanges ont été trop humidement entamées pour pouvoir les continuer ; mais, quelque temps qu’il fasse, il faudra bien les reprendre et continuer la besogne ; pour cela et le reste, j’ai grande hâte d’être de retour. M. Pigott doit bientôt revenir à Lyon ; il bat les buissons en attendant.

Lanthenas reviendra avec moi jusqu’à ce que le vent ait dirigé sa plume. Qu’avez-vous donc de mieux à faire qu’à venir nous joindre ? S’il est vrai que les bois d’Alix invitent autant à la rêverie et que cette manière d’être ait quelque charme pour vous, que ne venez-vous en jouir ? Noùs mettons nos goûts en commun et nous en multiplierons la jouissance d’autant qu’ils seront plus nombreux et plus rapprochés. Vous avez vu notre manière franche et ronde ; ce n’est point à mon âge qu’on change, quand on n’a jamais varié. Nous causons tous les jours de notre raprochement, et certes ! les biens du clergé de Villefranche en offrent un bon moyen : il y en a bien pour 200 ou 300 mille livres ; et quant aux logements, ce serait encore chose sur laquelle il n’y aurait point à désespérer. Sur tout cela, nous faisons peut-être des châteaux en Espagne, mais une agréable perspective de jouissances. Nous prêchons le patriotisme, nous élevons l’âme ; le docteur fait son métier ; ma femme est l’apothicaire du canton ; vous et moi nous arrangerons les affaires. Nous tous nous exhortons à la paix, à l’union, à la concorde, mais tout cela, quoique en commun, avec toute l’indépendance individuelle imaginable, bien persuadés qu’il faut être libre pour prêcher la liberté et que ce n’est point être libre que de prendre un engagement dont on ne puisse revenir quand bon semble. Ainsi donc, nous nous rapprochons le plus possible, nous nous voyons de même et nous sommes isolés et solitaires quand il nous plaît. Que si notre principe est de faire du bien à tout le monde, d’aider chacun de tout notre pouvoir, à plus forte raison nous ferons-nous réciproquement tout celui que nous imaginerons, surtout que le corps et l’âme, l’esprit et le cœur trouvent leur bien-être partout. Je vous ferais des volumes de vous répéter ce que nous avons dit ; je ferais la bibliothèque d’Alexandrie de vous dire ce que nous pensons et voudrions opérer.

J’ai vu votre sellier ; j’avais envie de le chapitrer, je commençais déjà, mais il m’a parlé en bon homme, en brave homme ; il est entré dans quelques détails… « Eh bien ! lui ai-je dit, en lui offrant les 12 livres, serez-vous content ? » Il m’a fait un petit compliment et nous nous sommes quittés fort bons amis. Il a quitancé le mémoire.

Vous nous aviez promis des nouvelles, nous les attendons avec empressement, surtout des vôtres. Je porte mes lettres à Lyon pour les y mettre à la poste.

Je vous salue, mon très cher, et vous embrasse de tout mon cœur.


J.-M. Roland.