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ment dans cette paroisse, mais dans la province, que le peu de maladies qu’il y a cette année. C’est bien assez du venin de l’aristocratie et de la lie que laisse après soi l’esclavage pour défigurer encore cette pauvre France.

Vous m’avez écrit d’excellentes choses que je ne relève point, parce que nous en causerons. Je suis bien aise d’avoir la Déclaration des droits ; c’est un petit bréviaire dont j’étais jalouse. Si vous voyez Brissot, assurez-le de toute mon estime ; dites-lui bien que je ne crois pas que mes opinions soient des lois ; que c’est pour cela que je les livre à la discussion avec tant de confiance et parce que je suis persuadée que son patriotisme sait tirer parti de tout pour tirer la vérité plus sûrement au clair.

En préparant à ma solitude le délicieux ornement de quelques plantes fournies par l’amitié, songez que le sol est dur, sec et pierreux. J’aurais été bien étonnée que le digne Thouin[1] ne fût pas patriote, mais je suis charmée que vous m’en donniez la confirmation ; il a cette douceur et cette sérénité d’âme, sûrs garants de sentiments équitables et purs.

Le cheval m’a fatiguée plus que de coutume ; je reprends les bains avec quelques doses de douce paresse et je m’abstiens de vous prier de la proclamation de Lafayette[2] pour ne pas m’échauffer le sang.

Adieu, notre bon et digne ami ; nous vous attendons avec empressement ; vous n’aurez point à craindre ici les délices de Capoue ; je dirais de ce pays, en parodiant de beaux vers de Crébillon :


La nature sévère, en ce climat sauvage,
Ne donne pour plaisir que les devoirs du sage.


N’allez pas vous rappeler tout de suite les vers de mon auteur ; vous trouveriez les miens détestables ; c’est bien assez qu’ils soient justes. Je ne vous dis rien nommément de mon ami ; nous n’avons qu’une âme, et les expressions de l’un vous assurent des sentiments de l’autre.

  1. Voir sur André Thouin, le célèbre jardinier en chef du Jardin des Plantes, la note du 26 janvier 1785. Sa maison était un rendez-vous de patriotes, disciples de Rousseau.
  2. On trouvera dans les Révolutions de Paris (n° 56, p. 174) cette proclamation de Lafayette à la garde nationale, du 31 juillet, faisant appel « à sa vigilance et à son patriotisme pour déjouer les tentatives des malintentionnés ». C’était le 2 août que Paris devait réélire son maire (Bailly dur réélu). – Le nom de Lafayette a été biffé sur l’autographe, sans doute par Bancal lui-même dans sa vieillesse. Nous le rétablissons d’après l’imprimé de 1835.