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vigoureuses et sages, appropriées aux circonstances ; il ne faut donc pas ôter à ces sociétés les hommes capables de les faire agir et de les éclairer. Je sens cela aussi fortement que le désir de réunir nos bons amis autour de nous, et ce ne me serait pas un petit embarras que ces vœux contradictoires, si je n’ajustais au milieu de tout cela vos projets antérieurs et vos raisons de les poursuivre. Il me semble aussi, en fouillant bien avant dans ma conscience, que ces réflexions ont déjà dû se présenter à mon esprit, et je m’étonne de ne me prendre à les faire qu’au dernier moment, lorsque vos arrangements seront déjà déterminés. J’ai presque doute de ma bonne foi avec moi-même et je me dépêche de vous dire que vous devez être trop bon citoyen pour n’avoir pas calculé votre marche avec les intérêts de la patrie. On dirait qu’il m’a fallu passer sur des charbons ardents pour faire cette exhortation ; mais vous me priez si gravement de me ménager nom de cette patrie, que vous me faites chercher quels peuvent être envers elle tous les devoirs d’un petit individu comme moi, qui ai si peu de moyens de lui être utile.

J’ai bien eu, comme vous, quelque envie de vous envoyer directement mes lettres ; des considérations du même genre m’en ont empêchée ; d’ailleurs, je n’avais pas toutes les indications nécessaires. J’use de cette voie aujourd’hui et, quoique je ne me gêne nullement dans la profession de mes sentiments envers mes amis, parce que je me fais gloire de les avouer hautement, cependant, en songeant que ma lettre va de nous à vous seul, je me trouve comme les écoliers lorsqu’ils se sentent hors du chemin battu.

Puisque je suis en train de confession, il faut que je revienne sur nos petits différends avec Blot. J’ai quelque crainte que ma franchise à son occasion ne vous ait porté à le déprécier et, par suite de cela même, ne vous inspire quelque éloignement pour les affaires ou les établissements auxquels il pourrait participer. Je ne voudrais point avoir pareil reproche à me faire. De ce que nous n’avons pas été d’accord avec lui et que même nous ayons eu quelques légers sujets de nous plaindre, il résulte seulement que nous sommes divers, mais non qu’il soit moins estimable au fond et moins propre à une infinité de choses. Il ne faudrait pas que votre affection pour ceux à qui vous vous êtes lié les premiers vous rendit susceptible de prévention contre celui avec lequel il se trouve moins de convenances qu’on n’avait cru.

Pour le bonheur d’un établissement fait en société, à la campagne ou ailleurs, il n’est pas nécessaire de trouver des hommes parfaits ; cette condition serait chimérique ; mais il est important de se bien connaître, de même qu’il