Page:Roland Manon - Lettres (1780-1793).djvu/960

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’ai enfin rencontré un jeune médecin, éclairé comme on l’est dans son état, sensible, généreux et franc comme on l’est à vingt-cinq ans, avec une âme ardente et un esprit juste[1]. Deux heures de sa conversation, toute consacrée aux affaires et à la patrie, m’ont mieux mise au fait de l’état des choses que les propos divers d’une foule de personnes.

Deux choses sont évidentes : c’est que les troubles de cette ville sont l’effet d’un projet de contre-révolution, le commencement de son exécution, et que la municipalité l’a favorisé par sa conduite.

Le parti ministériel avait dessein d’établir à Lyon 10,000 hommes de troupes réglées, choisies à dessein, pour tout contenir et seconder les invasions étrangères. Il n’y avait qu’un moyen de les y placer, c’était de les y rendre nécessaires et d’exciter pour cela une révolte dans le peuple. Celui-ci était aisé à soulever : il n’y avait qu’à lui représenter sa misère, causée en partie par l’énormité des octrois contre lesquels il s’indignait ou dont il gémissait depuis longtemps.

Des émissaires sont répandus en conséquence ; toute la canaille gagée à Nîmes pour son saccage[2] s’est trouvée transportée dans cette ville ; faufilée dans les cabarets avec les pauvres ouvriers, elle les induit à s’insurger ; on s’attroupe, on se porte sur les ports en face de l’Hôtel commun et l’on demande la destruction des barrières. Remarquez deux choses : la première, c’est que, lors de cette demande tumultueuse, renouvelée après l’assemblée des sections convoquée par la municipalité pur délibérer sur cette question, il n’y avait pas plus de quatre cents personnes, à chaque fois, qui faisaient entendre leurs clameurs et se trouvaient réunies sur cette place, de manière que les soins et la vigueur de la garde nationale auraient suffi pour les dissiper. Mais la municipalité ne les requit point et eut l’air de se laisser mettre le pied sur la gorge. La seconde, c’est que, dans le Conseil de la commune, ou plutôt dans la salle où il se tenait alors, on avait laissé pénétrer beaucoup de ces gens sans aveu, vrais brigands étrangers, reconnaissables au premier coup d’œil, qui se per-

  1. Nous n’avons pu trouver quel était ce jeune médecin.
  2. Il y avait eu à Nîmes, les 13-15 juin précédents, une sanglante émeute suscitée par le parti royaliste et catholique, qui était maître de la municipalité, et qu’avaient exaspéré d’abord l’élection de Rabaut-Saint-Étienne comme président de l’Assemblée, puis les décrets de mars et d’avril, relatifs aux biens du clergé. (Voir dans le Révolution française de 1898 les articles très documentés qu’a publiés M. Armand Lods sur Rabaut de Saint-Étienne et sa correspondance.)