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[À BRISSOT, À PARIS[1].]
11 février 1790, — [de Lyon].

Vous êtes lié avec l’un des MM. Bergasse[2], celui que le public connaît par ses écrits ; il ne vous est pas indifférent de savoir quelle est la profession de foi de sa famille sur les affaires présentes et sur vous-même. Vous apprendrez peut-être avec étonnement que les frères Bergasse s’expliquent ici, d’une manière peu édifiante pour les patriotes, sur la révolution actuelle ; ils la désapprouvent hautement, ils témoignent du dédain pour l’Assemblée nationale ; ils blâment ses opérations ainsi que la dernière démarche du Roi[3] ; vos principes et vos ouvrages leur paraissent également répréhensibles, et, pour quiconque juge l’influence du député sur le jugement de ses frères, il n’est pas difficile d’en reconnaître l’effet. Notre ami Blot[4] sait que le premier a eu le projet de réfuter votre excellente lettre au marquis de Chastellux[5], dans le temps même que, sans vous en rien dire, il était avec vous sur le ton de la confiance.

J’ignore jusqu’à quel point une façon de voir particulière, un excessif attachement à sa propre opinion peut abuser un homme ; je n’accuse les personnes ni ne qualifie les procédés, mais je vous préviens d’une disposition publiquement manifestée, contraire aux principes du patriotisme exposé dans vos écrits

  1. Lettre publiée par M. de Montrol dans son édition des Mémoires de Brissot (1830-1832, t. II, p. 420-421). Sainte-Beuve en a cité quelque chose dans son Introduction aux Lettres à Bancal, p. xxvi, et a donné la date précise, 11 février. — Les lignes en italique et entre crochets, qui relient les deux fragments de la lettre, sont de M. de Montrol.
  2. Voir sur Bergrasse et ses deux frères, Dominique et Alexandre, négociants à Lyon, quai du pont Saint-Clair, un note de la lettre du 20 octobre 1789. Brissot avait été fort lié avec lui en 1787, ainsi qu’il le raconte dans ses Mémoires (II, p. 415-422).
  3. Louis XVI était allé, le 4 février 1790, à l’Assemblée nationale, et, dans un discours composé par Necker, avait solennellement adhéré à la Constitution.
  4. Voir sur Blot, ami d’enfance de Brissot, alors contrôleur général de la marque d’or et d’argent à Lyon, secrétaire général de la Société philanthropique, et un des initiateurs de la Révolution à Lyon, notre Appendice P. Il marchait alors avec Roland. Mais ils ne tardèrent pas à se brouiller. (Voir lettres de juillet et août 1790).
  5. Examen du voyage du marquis de Chastellux dans l’Amérique septentrionale, 1 vol. in-8o, 1786 (par Brissot).