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venue ici, il y a quinze jours, pour vingt-quatre heures seulement ; j’y suis tombée malade subito, et j’attends des forces pour monter à cheval et retourner au Clos.

Je voulais vous écrire, par le dernier courrier, que j’étais toujours de ce monde ; mais j’avais été obligée de faire une autre lettre, et, pour le peu que je tienne la plume, le mal de gorge se fait aussitôt ressentir ; j’ai donc remis au courrier suivant. Je le devance, par précaution, en saisissant un bon moment.

Je ne sais pourquoi vous glosez si tristement sur notre amitié pour vous, et comment vous pouvez parler de déchanter à cette occasion. Si j’avais de la force, je vous peignerais d’importance ; mais je suis convalescente et plus portée à la clémence qu’à l’indignation.

Dites-nous donc si c’est à Lyon que se rend ce M. de Bournon ; nous pourrions l’y rencontrer, puisque nous devons y passer les deux ou trois premiers mois de l’année.

Les d’Eprémesnil et compagnie ont d’abord été reçus à Lyon avec enthousiasme ; mais leur couronnement à la Comédie ne s’est pas fait noblement : il a passé pour avoir été concerté avec eux dès la veille[1]. Pour comble de mauvais effet, ces messieurs, invités et régalés au cercle ou club des Terreaux, s’y sont montrés avec hauteur et parlant du Tiers-État avec beaucoup de dédain. L’assemblée qui les régalait, toute composée du Tiers-État, a été indignée ; on a fini par les détester, et ils devaient être sifflés s’ils fussent retournés au spectacle.

Bourg se montre contre les parlements avec une vigueur étonnante[2] ; elle a fait un terrible mémoire contre les injustices qu’elle prétend avoir essuyées de celui de Dijon, dans tous les procès de personnes du Tiers--

  1. D’Eprémesnil, arrêté en plein Parlement, le 6 mai 1788, pour ses protestations contre les édits de Brienne, et emprisonné à l’île de Sainte-Marguerite, venait d’être rendu à la liberté et regagnait Paris au milieu des ovations populaires. À Lyon, lorsqu’il parut au spectacle, « on jeta sur le théâtre des vers et une couronne de laurier, etc… » (Correspondance littéraire, novembre 1788, note de Meister.)
  2. Examen des privilèges de la noblesse de Bresse (par l’avocat Gauthier des Orcières, qui fut ensuite député à la constituante et à la convention). — Voir Ch. Jarrin, Bourg et Bellay pendant la Révolution, Bourg, 1881, p. 302 et 468.