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J’ai aussi ce douloureux avantage : ma plus proche voisine a perdu un excellent mari qu’elle aimait comme j’aime le mien ; cette femme, commune par l’esprit, est devenue sublime par la douleur, tant un sentiment vif et profond nous élève au-dessus de nous-mêmes ! Elle a beaucoup de connaissances ; toutes cherchent à la distraire ; il n’y a que moi peut-être qui ne la console jamais, et qui pleure de bonne foi avec elle ; ses pleurs en sont moins amers et sa tristesse s’en adoucit.

Notre aîné[1] est parti ce matin à cinq heures, examinez-le lavatériquement. Je crois que son nez pointu vous intéressera et que sa bouche vous fera quelque peine ; du moins me semble-t-elle exclusive de tout ce qui est du ressort du goût et de la finesse. Quant au front, je sais bien qu’en dire et je ne veux pas vous prévenir. Vous savez ce que je mandais à Lanthenas du triomphe que je lui offrais sur l’aînesse[2] : soyez de la partie, et que les éloges du cadet et le soin de relever tout ce qui est en sa faveur fassent connaître à un aîné qu’on puisse jouir de beaucoup de considération en dépit de la primogéniture.

Vous êtes bien heureux de pouvoir vous livrer à une science aussi aimable que l’histoire naturelle ; je n’imagine pas d’étude qui s’accorde mieux que celle-là avec la paix de l’âme, et qui éloigne davantage des passions capables de la troubler.

Adieu ; recevez nos embrassements.


296

[À BOSC, À PARIS[3].]
19 mai 1788, — [de Villefranche].

Il faut bien, toute maléficiée que je suis, vous dire un mot pour obtenir signe de vie de quelques-uns de vous tous[4]. Je ne sais si nous avons des lettres de perdues, mais je n’ai rien reçu depuis un temps

  1. Le chanoine Dominique Roland. Il se rendait à Paris et y était encore au commencement de juillet. (Voir, lettre 303.)
  2. Nous avons déjà parlé (voir lettre 208) de l’ouvrage Sur les inconvénients du droit d’aînesse que Lanthenas préparait depuis 1785 et qu’il publie en 1789. De là les allusions aux aînés et aux cadets qui vont suivre.
  3. Ms. 6239, fol. 278.
  4. Roland disait à Bosc, le 22 mai 1788 (coll. Morrison) : « Nous n’apprenons de Lanthenas, et de personne autre, qu’à travers les branches, ce que vous jetez en l’air.